Penetrator Le projet Visuels Infos pratiques
Notes sur le texte Mise en scène Fiche technique
Notes de mise en scène
Les enjeux de la représentation de Penetrator sont de plusieurs ordres.
Tout d’abord, Penetrator met en scène trois jeunes hommes. La pièce ausculte, de façon quasi-clinique, les origines de leur amitié et la nature de leurs liens. Mon ambition première est donc de faire vivre ces trois individus en rendant toujours tangible leur passé commun. De la crédibilité de ce groupe fusionnel découle la force du propos de la pièce. Mon premier travail a donc consisté en un long casting, qui a débouché sur la distribution actuelle.
En termes de direction d’acteur, il s’agit de faire jouer au mieux les rapports de force, les irruptions de violence, les attirances (sexuelles ou amicales) entre les personnages, et de graduer la progression de la menace. Un séquençage rigoureux du texte est donc nécessaire pour que la tension s’installe progressivement.
Du point de vue du texte, nous travaillerons le langage parlé exactement comme Neilson l’a fait lors de l’écriture de la pièce : en répétitions, en explorant la matière vivante qu’est la langue parlée, en essayant d’être aussi proches que possible de l’oral. Pour faire oublier le texte littéraire, un détour par l’improvisation est nécessaire. Ce travail sur la proximité vise à créer un lien évident avec le public et à l’associer malgré lui aux enjeux de la pièce. Pas de distance, la scène fonctionne en miroir et l’identification public/personnages est immédiate.
En ce qui concerne les personnages, ils sont tous trois très distincts, ce qui est une force du texte de Neilson. Mon intention est de conserver ces différences, et de typer le parcours de chacun. Max est le « mâle alpha » du groupe, le personnage moteur de la pièce, celui qui en définit le rythme par sa vitalité et son occupation expansive de l’espace. Alan est tout entier dans l’ambigüité : plus fin et subtil que Max, il se construit en creux à côté de son imposant compagnon, parle peu mais n’en pense pas moins. Il se positionne volontairement en spectateur de Max et Dick, attendant le moment opportun pour tirer son épingle du jeu. Face au pouvoir de rationalisation d’Alan se trouve Dick. Dick est construit sur un mystère : que s’est-il passé en Irak, alors qu’il y était soldat volontaire ? Contre toute attente, le mystère s’épaissit au fil de la pièce. Neilson laisse en suspens la clef de la tension dramatique de Penetrator, organisant l’angoisse aussi bien que la frustration du spectateur.
Pas question de résoudre ces mystères : Dick, le psychopathe en puissance, est d’abord une victime en apparence inoffensive… Loin d’une représentation hystérique du tueur, nous avons travaillé ici sur des effets a minima, en jouant du décalage, du glissement progressif, de l’irruption du bizarre dans le normal… Comme Alan et Max, le spectateur sent plus qu’il ne voit que « quelque chose » cloche chez Dick, mais cette bizarrerie perceptible est difficile à définir… Le malaise est l’un des effets majeurs de l’In Yer Face Drama, nous l’assumons totalement.
Ce travail sur le décalage, absolument essentiel dans Penetrator, se prolonge dans la scénographie et les lumières.
Visuellement, j’ai choisi que ce que l’on voit soit légèrement décalé par rapport à ce que l’on entend. Ainsi, il s’agit de conserver l’ancrage réaliste du huis-clos (l’appartement d’Alan et Max) tout en s’inscrivant dans une esthétique résolument contemporaine qui tourne le dos à toute tentation naturaliste. L’image donnée d’emblée est donc un espace nu, épuré, réduit au minimum du décor (deux fauteuils, un canapé). Là va se jouer le geste majeur de la pièce : la voration de l’espace d’Alan et Max par Dick.
Car Dick est un personnage-décor. Il vit dans sa pièce noire, cet espace mental dont on ne sait s’il est réel ou imaginé, et c’est cette pièce noire qu’il va peu à peu imposer à Alan et Max. Il débarque chez eux, dans un lieu qui ne lui appartient pas, mais le jeu de manipulation qui fait le cœur de la pièce change le rapport de forces. Dick enferme peu à peu Alan et Max dans sa prison mentale. En termes dramatiques, Alan et Max sont pris en otage. C’est tout à fait clair dans le texte : ils sont enfermés chez eux. De rassurant, confortable, leur intérieur devient un lieu de danger, de menace, de torture ou de mort possibles. En termes de mise en scène, je souhaiterais que les spectateurs se rendent comptent un peu avant les personnages du changement de sens du lieu.
C’est pourquoi j’aimerais que le glissement progressif d’un lieu à l’autre soit légèrement décalé par rapport au temps de l’énonciation. En termes scénographiques, il s’agit essentiellement de transposer la pièce noire de Dick dans l’espace (le salon) d’Alan et Max. Pour cela, je souhaiterais « fermer » la pièce des deux colocataires en modifiant l’éclairage, et animer les objets en renversant la source de la lumière : elle ne vient plus de l’extérieur mais bien des objets eux-mêmes, prisonniers de l’espace et acteurs du bizarre. On parle ici d’effets très discrets : une ou deux sources de lumière sur le plateau suffisent à signifier l’inversion. Bien sûr, techniquement, on « triche » en rattrapant par la face le faible rayonnement des sources de lumière au plateau.
Le but de ces partis-pris esthétiques est de permettre au mystère et à la menace, les deux éléments au cœur de Penetrator, de trouver leur place. Si nous y parvenons, nous aurons réussi à mettre à jour l’anormal dans le normal. Ce qui est un propos politique en soit.